« Cependant quand on accompagne, qu’on ouvre le dialogue et qu’on s’offre ces temps d’échange et de discussion, on peut alors déverrouiller beaucoup de choses ».
Bonjour Réjane et Mehdi, pourriez-vous nous raconter le déploiement de votre DUI au sein de l’EPNAK ?
Dans la grappe, l’EPNAK constitue 80 à 90% de l’ensemble de ses unités (au niveau national). Au niveau Bretagne nous avions 2 unités en expérimentation : un ESAT et un ESRP.
Nous avons déployé de manière efficace.
Nous avons constaté que sur le terrain la mise en œuvre peut être chaotique. Il faut être préparé pour que ce soit bien cadré. Il faut être prêt aux imprévus et aux changements. Il y a un aspect très dynamique mais qui va être en opposition avec le côté stratégique de la mise en place du DUI. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il existe une forme d’opposition entre les deux.
À l’EPNAK, nous avons la chance d’avoir une entité innovante appelée le FabLab digital. C’est nous ! Pour moi, c’est aussi l’exemple de ce qui est nécessaire de faire. C’est-à-dire la manière de fluidifier et d’apaiser cette différence, cet écart entre les demandes stratégiques d’une direction avec la mise en place d’un DUI et l’appropriation sur le terrain par les professionnels. En vérité, ce n’est pas mon directeur général qui va mettre en place le DUI.
Il y a aussi la problématique des professionnels qui l’utilisent aujourd’hui mais qui vont partir demain et qui vont être remplacés. Et ce n’est pas non plus mon directeur général qui va aller former ces nouvelles personnes. Il y a donc toute une stratégie à mettre en place, je ne vous apprends rien. Mais il faut y penser et la réfléchir.
Le Fablab Digital c’est deux postes qui sont financés par l’ARS en tant que « chargé de mission pour le numérique », c’est-à-dire nous : Réjane Certain et Mehdi Gheddache. Nous avons construit le Fab Lab Digital autour de la question de la création d’outils et l’accompagnement des professionnels. Sans le FabLab digital, nous rencontrerions des difficultés supplémentaires dans la mise en œuvre du DUI. Notre objectif est donc d’accélérer, faciliter et éviter les catastrophes dans la mise en œuvre du DUI. Si j’avais un message à faire passer ce serait celui-là : si on n’est pas préparé ça ne fonctionne pas ! Si on n’est pas équipé avec les bonnes ressources au niveau de l’établissement : ça va pouvoir se faire parce que tout finit par se faire, mais à quel prix ? Je pense que la création d’une entité qui a cette mission de faire tampon, d’être flexible et d’agir sur du conseil et de l’accompagnement terrain (conseil vers les directions, écoute et formation du terrain) est essentielle.
Lorsqu’on pense à déployer un outil numérique, on réfléchit aux grandes étapes que ce soient des audits ou du paramétrage. Puis, on se pose la question de la formation des professionnels sur « comment fonctionne l’outil ? ». Mais un tel outil comme le DUI, c’est tout une organisation et un nouveau fonctionnement. Bien sûr les procédures peuvent changer. Lorsque j’arrive en tant que référente territorial du déploiement du DUI avec une casquette « usage et numérique », en réalité, on me voit plutôt avec la casquette « compétence en numérique ».
A l’EPNAK, nous avons 80 établissements où nous avons un panel de professionnels différents mais, surtout, des cultures professionnelles différentes. Finalement, on dépasse ce cap de la compétence numérique étant donné que le public est trop hétérogène. L’appropriation de cet outil, ne peut se faire QUE collectivement. Et comme on l’a dit, il faut bien la penser en amont, penser à ses process, anticiper toutes les pratiques qui vont rester pérennes avec l’outil, et surtout, penser à tout ce qui va changer.
A l’EPNAK cela n’a pas été fait. Alors une fois qu’on arrive avec l’outil et qu’on dit : « voilà ça marche comme cela », les collègues sont réticents, ou curieux voir en attente car il y a quand même un intérêt à avoir un DUI. Mais au moment de la prise en main de cet outil, rien ne va plus… ! Ce sont les mails, les coups de fil et c’est très difficile quand on seules deux personnes peuvent répondre à toutes ces demandes alors qu’on aurait pu les anticiper. C’est cette agilité des outils, c’est cette culture numérique, cet environnement de travail qu’aujourd’hui on ne maîtrise pas. Ou alors on est débordé par ces outils, on ne sait pas à quoi ils servent, on nous en rajoute alors qu’auparavant on avait un système qui fonctionnait déjà très bien et donc c’est très frustrant. Cependant quand on accompagne, qu’on ouvre le dialogue et qu’on s’offre ces temps d’échange et de discussion, on peut alors déverrouiller beaucoup de choses.
Ça veut dire que tu es d’accord avec le fait que vous aillez trop d’outils ?
J’entends ce que dise les collègues et je comprends pourquoi ils pensent cela mais moi je ne suis pas d’accord. Car pour moi, chaque outil, quand on le décortique, répond à un besoin de communication ou de centralisation de l’information. Effectivement on rassemble des collègues qui font des métiers différents, qui ont des missions différentes mais on leur demande de travailler ensemble. À un moment donné, nous allons avoir besoin de cette diversité et de ces outils.
En revanche là où on peut tous s’améliorer c’est lors du recrutement d’un nouveau collègue. On devrait prendre le temps d’expliquer « voilà on utilise cet outil, on a fait ça, cet outil on en fait ça, celui-ci à ton niveau tu vas très peu l’utiliser, ce sera plutôt tes collègues ». Je pense que si on donnait plus de hauteur, et un petit cadre général sur l’existant de l’écosystème et pas que le sien personnellement, on aurait peut-être moins ce côté débordé où l’on croule sous les dossiers.
On entend souvent : « ça à l’air super compliqué ton truc là ». Il y a un grand nombre de questions. Maintenant comment gère-t-on ? Individuellement ? Collectivement ? Comment fait-on pour gérer 1500 personnes ? Comment on fait pour accompagner les professionnels ?
Dans l’idéal, il faudrait une information collective. Dans l’urgence, bien évidemment on fait une réponse individuelle. Il est important de créer des relais dans les services. En effet, les professionnels s’entraident et reviennent vers les référents numériques s’ils n’ont pas eu la réponse souhaitée.
Dans la réalité des faits, est-ce que tous ces groupes que vous avez mis en place (COPIL, COMOR, COSUIV) ça marche vraiment ? Est-ce que les relais dont tu parles sont eux-mêmes organisés entre eux ou est-ce que c’est vraiment avec un contact individuel ?
Les COPIL, les COSUIV, sur la question du déploiement sont pour moi, non essentiels. Par contre sur le territoire, je pense que c’est un temps où il faut investir, même au niveau individuel pour essayer d’anticiper la suite. Il y aura de nouveaux collègues et nouveaux arrivants, de nouveaux process, une nouvelle culture, de nouveaux dispositifs et ça, c’est le plus important. C’est vrai qu’aujourd’hui on bricole. En revanche on le dit, on ne va pas se le cacher. Cependant, on anticipe tout de suite la suite. C’est « je vous crois » mais on le formalise : « qu’est-ce qui vous a posé problème ? », « Comment peut-on améliorer cela ? ». On note et on laisse des traces.
Le terme « faire du bricolage », ça veut dire que ça n’a pas été préparé. Finalement vous n’auriez pas eu besoin de bricoler si ça avait été préparé, prévu en amont : si vous aviez fait un véritable plan. Est-ce que tu es entrain de dire que la manière dont vous avez préparé le déploiement du DUI au sein de la grappe dans laquelle se trouve l’EPNAK a été fait de manière « amateur » ou est-ce exagéré ?
Je vais faire un petit pas de côté. Ça dépend de « quand » nous parlons. Si on parle de la grappe, du financement, et de toutes ces étapes là et qui ont été faites, nous avons bien respecté les consignes. Par contre le déploiement « outil terrain », non il n’a pas été pensé.
Qu’est-ce qui, d’après toi, a manqué dans la préparation du déploiement sur le terrain ?
De la concertation avec le terrain. Il n’y a pas eu de dialogue.
Tu es donc entrain de dire que vous n’avez pas concerté les professionnels du terrain pour la mise en œuvre du déploiement de votre DUI ?
Oui. Mais je pense que c’est inconscient. Pour une direction générale, le DUI ce n’est qu’un outil. C’est vu comme un simple outil qui fonctionne avec un mode d’emploi. Je pense qu’ils n’avaient pas du tout conscience à quel point ça allait transformer les organisations.
Quand on parle de transformation, c’est sur quel volet ? Social, professionnel, de nouvelles manières de travailler ? Si vous deviez le refaire, intégreriez-vous des utilisateurs ou des personnes pilotes d’utilisateurs en plus de la dimension stratégique représentée par la direction générale ?
Oui. Je pense que c’est indispensable. Il s’agit d’un accélérateur qui modifie la façon de travailler. Il y a eu des inquiétudes chez mes collègues quand tout arrive d’un seul coup. On ne retire pas l’expérience et l’expertise du professionnel. Il va continuer à réaliser ses missions. Cependant, ce qui va être bouleversé, c’est la façon dont on va communiquer en interne : comment va-t-on gérer la donnée ? comment on va-t-on gérer les informations ? On pourrait se dire : « c’est super le DUI, toutes les informations vont se trouver au même endroit ». Ce n’est pas tout à fait vrai ! Parce qu’un DUI c’est un dossier usager, c’est la compilation de dossiers pour un usager. En aucun cas, il ne va être en appui d’une gestion collective ou d’un service ou encore moins d’une organisation.
On pourrait revenir au commencement finalement : qu’est-ce qu’un DUI ? Le DUI se sont des dossiers de personnes mais numériques. Le DUI qui va gérer ces dossiers ne va pas gérer que le parcours des personnes au sein d’un établissement. Il ne va en aucun cas créer une gestion de planning collective. Effectivement, on va pouvoir se transmettre de l’information mais ça ne va pas gérer l’organisation. Donc le fantasme ou le mythe de se dire « on va enfin n’avoir qu’un seul outil », il est faux ! Il va plutôt venir s’intégrer à tous vos outils existants.
Le DUI crée une opportunité finalement. Il permet de faire le lien entre les différents canaux. Le DUI c’est le lieu central où tout va se partager. Il y a quand même une réglementation avec notamment le « qui à accès ? » et « à quoi ?». Finalement on a le même outil mais pas forcément accès à la même chose. Et ça je pense que dans l’anticipation, sans prendre de la donnée réelle, on pourrait réunir et se dire « bon ben voilà le médecin il a telle interface avec ceci et cela et à cet endroit il aura ça. Par contre, vous vous ne verrez pas cette partie-là ». Une fois que tout le monde a compris, je pense qu’on arrive à ce lieu unique. Il faut bien indiquer « qu’il y a bien tout dans le DUI mais que certains ne le voient pas parce qu’ils n’ont pas ce droit d’accès à cette information ».
J’ajouterai, qu’il y a quelque chose de social qui est lié au travail de la personne, du collaborateur qui utilise le DUI. Pour lui ça devient son outil. Le manager a une responsabilité envers le collaborateur. C’est avoir cette disposition mentale en tant que manager aujourd’hui et dire : « ok, laissons le temps aux équipes de s’approprier déjà l’outil ». Ecoutons-les ! Je trouve que les discussions restent au niveau des comités opérationnels, comité de pilotage et comité de suivi. J’ai demandé (au niveau de l’EPNAK) qu’on installe des comités utilisateurs plutôt.
C’est compliqué, on se dit « un outil pour tous », pour certains il y a une logique qui va apparaître de « ah oui c’est super ». Pour d’autres, il y aura une gymnastique et effectivement un jour ou l’autre, vous l’entendrez le fameux : « c’était mieux avant avec Excel ». Mais ça je pense que c’est humain. Il y aura aussi le passage des râleurs. Or, la solution numérique est omniprésente dans notre quotidien (smartphone, tablette etc). On ne demande pas d’être ingénieur, mais il y a des lacunes et on s’en rend bien compte. Dans n’importe quelle prise de poste, de toute façon, nous n’accompagnons pas assez nos professionnels dans leur nouvel univers informatique.
L’aspect social de la mise en œuvre du DUI, le changement que ça implique, ça se joue de quelqu’un qui va comprendre et va mieux pouvoir accompagner ses collègues. À mon sens, c’est aussi la qualité du Fablab digital à l’EPNAK. On arrive à comprendre les aspects à la fois sociaux, techniques et stratégiques. Une fois qu’on a cette petite entité financée même temporairement dans la structure uniquement pour le déploiement (cette zone tampon) elle devient essentielle. Une personne qui sera un médiateur voire un négociateur social. Cette personne c’est l’expert qui va pouvoir donner son avis de manière stratégique.
Aujourd’hui chaque outil qu’on met en œuvre a toujours une raison sociale. Ce qui est intéressant d’avoir une équipe tampon comme nous, c’est que le DUI permet d’aller beaucoup plus vite et de manière beaucoup plus fluide. Le côté bureaucratique freine trop les projets tel que le DUI. C’est une réalité.