Thierry Perrin

 «C’est toujours intéressant de garder un lien avec le terrain dans le sens où c’est clairement aux professionnels de se saisir du sujet »

 

Qu’est-ce qui a donné envie aux structures de se lancer dans ce projet ?

 

Pour le GCSMS dès 2021, nous avons pris le parti de se dire qu’il y avait un enjeu dans les établissements médico-sociaux. C’était pour nous une forme d’opportunité pour passer la vitesse supérieure en termes d’acculturation aux services socles. C’est vrai qu’au départ ce n’était pas quelque chose qui était évident mais tout va de plus en plus vite.

Exemple concret, mardi dernier nous avons accueilli un nouveau résident qui n’est de notre territoire au niveau de l’EHPAD. Son médecin traitant nous transfère son dossier sur une clé USB. Nous n’arrivons pas à la lire. Nous appelons le médecin et nous lui demandons s’il a la possibilité avec son logiciel de déposer le dossier médical sur le DMP, nous pourrions ainsi le récupérer directement. BINGO, le médecin a répondu « bien sûr ». Eh bien là, vous voyez, il y a deux ans, cela
était impossible. Jamais le médecin n’aurait su de quoi on parlait. Beaucoup de choses se mettent en place. Il vaut mieux monter dans le wagon maintenant parce
qu’après nous serons en retard si nous n’avons plus tous ces outils à notre disposition.

Quelle est votre organisation au sein de la grappe ?

En termes d’organisation, nous avions un COSTRAT qui incluait 4/5 directeurs d’établissement avec le Groupement Régional e-santé, l’Agence Régional de Santé et notre AMOA. Nous avons donc calé des temps réguliers pour prendre des décisions sur des éléments assez pratiques.

Nous avons une deuxième instance qui s’appelle le COMOP. Il s’agit d’un regroupement avec 1 à 2 référents par établissement qu’on retrouvait régulièrement pour pouvoir répondre à leurs questions ce qui permettait de personnaliser l’accompagnement, d’expliquer les acronymes etc. Au niveau des référents du COMOP, nous avions une majorité de cadres. Ce qui est intéressant car ils font bien l’interface avec les professionnels de santé. Nous avions aussi quelques personnes avec une casquette administrative qui jouent un rôle important au sein des structures.

C’est toujours intéressant de garder un lien avec le terrain dans le sens ou c’est clairement aux professionnels de se saisir du sujet. C’est bien l’aide-soignant de nuit qui va pousser le DLU dans le DMP s’il y a une hospitalisation. Donc il faut que l’aide-soignant sache comment ça fonctionne et qu’il comprenne l’intérêt de le
faire. Je sais qu’on peut être confronté à des professionnels qui se disent « aller encore un truc en plus qu’on nous demande de faire, il faut qu’on passe plus de temps auprès des patients et résidents plutôt que derrière un ordinateur ». Il convient d’anticiper ces réactions.

Vous parliez des personnes référentes de la grappe, c’est bien au niveau macro de la grappe, c’est-à-dire que ça n’empêche pas que sur un ou plusieurs sites donnés qu’il y ait des référents plus micro qui soient des IDE ou du personnel plus ciblé qui fasse le relais avec vos référents ?

Oui vous pouvez ! Il s’agit des référents présents au COMOP tous les 15 jours. Je n’ai pas la sensation que des établissements ont d’autres personnes « sous-référent » dans les établissements de notre grappe. Après on est sur un ensemble d’établissements à taille humaine. Nous sommes en moyenne sur du 80 à 120 résidents pour nos établissements. La déclinaison avec une autre personne pourrait se voir sur un établissement un peu plus grand effectivement.

Quels sont vos partages des usages ?

Le partage des usages au sein de la grappe, c’était aussi très intéressant. Même si on se connaît tous, le fait de faire ces réunions en bimensuelle, étaient l’occasion de pouvoir répondre aux questions. Chacun avait le choix de garder ses spécificités, pour autant on était bien content de définir nos paramétrages ensemble. Typiquement, qu’est-ce qu’on va faire remonter de manière automatique dans le DMP (car il faut cocher des cases dans le logiciel) ? Est-ce qu’on y met les observations médicales ? Est-ce qu’on y met les évaluations ? Est-ce qu’on y met les prescriptions ? Toutes ces questions, nous nous les sommes posées et
partagées. Ce fût très intéressant car on a pu définir quelque chose de commun, même si chacun pouvait faire son propre paramétrage.

Quels étaient vos points de vigilance ?

Ça rejoint la notion de délais entre l’installation de la version et le déploiement dans les usages. Il y a eu un retard au démarrage, essentiellement pour des aspects administratifs et parfois techniques. L’idée c’est aussi de ne laisser personne de côté. C’est-à-dire que quand on sentait un établissement un peu en difficulté, nous
prenions le temps. Pour ma part, j’étais directeur de projet au sein de cette grappe. D’autre part, avec un collègue qui était un petit peu en retard, on a pu échanger. Par la suite la AMOA a pris le relais sur le terrain, ce qui a permis de pouvoir avancer tranquillement. C’était rassurant de se dire « ok on avance par forcément tous en même temps mais au moins on essaye d’aider les collègues ».

Comment faites-vous pour maintenir les cibles dans le temps ?

Ça c’est vrai qu’au début, « on se dit comment on va faire pour atteindre ces cibles-là ». A un moment donné, je me suis même dit qu’on avait était trop ambitieux. Et puis en fait, on s’est rappelé que non ce n’est pas de l’ambition, c’était prévu comme cela avec la CNSA. On n’avait pas le choix. Au début ça paraît difficile mais il ne faut pas s’inquiéter.

Comment voyez-vous la pérennisation des usages ?

Nous ne faisons pas tout ça pour répondre juste à un Appel à projet. Le but du jeu c’est que ça continue après. Aujourd’hui le projet est terminé et pourtant j’ai encore un œil sur les indicateurs car ça a du sens et qu’il faut que ça continue car ça marche toujours. C’est donc devenu automatique pour moi.

Qu’est-ce qui est attendu du référent DUI ?

Pour nous l’idée c’était de travailler sur la dynamique SI et donc de recruter un RSI. Finalement le GCSMS est plutôt parti sur le recrutement d’un chargé de mission. Nous avons une belle dynamique qui s’est lancée. Il se trouve que nous avons une autre contrainte en tant qu’établissement public, c’est qu’il y a les GTSMS qui arrivent (groupement territoriaux). Ils sont obligatoires et nous allons essayer de profiter de cette obligation réglementaire pour peut-être justement mettre en place parmi nos actions territoriales un axe sur les systèmes d’information.

Les équipes sur les terrains : comment ça se traduit ? Qui l’utilise ce système ? Au niveau du terrain comment les aides-soignants l’utilisent-ils ?

Nous avons des acteurs différents et qui vont y participer différemment. C’est vrai que si on regarde les outils socles, il y a l’INS et le DMP d’un côté et puis la messagerie sécurisée. Si je prends l’INS : c’est le rôle de l’administration qui avec son lecteur de carte vitale, qui va qualifier l’INS du résident. Mais si cette personne de l’administration ne fait pas ça on ne pourra pas alimenter le DMP.

L’identitovigilance est devenue essentielle. Pourquoi ? Nous allons sécuriser ses données et coupler les informations avec la lecture de la carte vitale. Pour la partie DMP, nous avons une multiplicité d’acteurs. Nous avons fait le choix de paramétrer de façon automatique des choses qui vont aller dans le DMP. Dès qu’on fait une évaluation, par exemple, ça va remonter de façon automatique et les professionnels n’ont pas besoin d’agir. En revanche, si je prends l’exemple de l’aide-soignante qui va réaliser une hospitalisation en appelant le 15 et bien c’est à cette personne d’aller pousser le DUI. Elle a juste à cliquer à un endroit en suivant le protocole : elle dira qu’une personne est hospitalisée la nuit et en tant que soignante elle saura ce qu’il faut faire. Les infirmières peuvent également envoyer des informations dans le DMP via la messagerie sécurisée. Le médecin coordonnateur et l’infirmière qui l’utilisent davantage. Par contre, l’aide-soignante ne l’utilise pas.

Dans notre établissement, nous avons une dizaine de médecins généralistes qui interviennent mais on travaille avec un ou deux d’entre eux. A un moment donné eux-mêmes nous ont dit « arrêtez de nous envoyer des messages sur la boite mail de notre secrétaire car elle n’en peut plus ». Ça tombe bien, on va les envoyer directement sur votre messagerie sécurisée. C’était une belle opportunité. Elles peuvent envoyer des pièces jointes, mettre des photos pour être concrets. On est sur une multiplicité d’acteurs qui utilisent les différents services socles.

Concernant la notion de projet personnalisé, nous avions déjà un protocole. Ce qui a changé c’est qu’au lieu de le faire en version Word on peut le faire directement dans l’outil. Attention, concernant le projet personnalisé, il est attendu de vraiment utiliser le module spécifique pour faire le projet personnalisé dans le logiciel et pas simplement de déposer un PDF comme une pièce jointe dans le DUI. Donc forcément ça nous a amené à nous dire qu’il fallait que nous reprenions tous nos projets personnalisés pour les intégrer dans le logiciel. Il vaut mieux le savoir avant car ça prend un peu plus de temps et ça nécessite du dialogue et de la formation. Irrémédiablement, il faut changer les habitudes.

Comment est vécu par les équipes la migration du système, de ce nouvel environnement ?

Il y a une petite subtilité entre le secteur personnes âgées et personnes handicapées. C’est vrai que la culture n’est pas forcément la même. Sur la partie EHPAD, il y a peu de question sur cette dimension dans le sens où il y a cet enjeu de traçabilité. La culture de la traçabilité elle est clairement présente avec les équipes pour justifier ce qui est réalisé.

Sur la partie Handicap, la culture n’est pas forcément la même. Nous essayons d’être à l’écoute des équipes et nous leurs demandons leurs besoins. Mais de toutes façons il faudra bien qu’elles justifient quelque part le travail effectué. Donc ça ce n’est pas négociable. En revanche comment pouvons nous faire, pour vous aider au mieux ? La traçabilité elle a du sens. Les transmissions peuvent se faire dans l’outil donc il n’y a pas de raison de ne pas le faire.

Mais je crois aussi qu’on est dans une génération où tous les professionnels sont sensibles à l’outil numérique. C’est vraiment à la marge, les professionnels qui peuvent rencontrer des difficultés. Nous leur avons mis des tablettes également pour que ce soit plus confortable pour eux. Lorsqu’ils rentrent dans la chambre du résident, ils ont leur plan de soin sur la tablette. Mais je n’ai pas eu de résistance.

Il y a un accompagnement des professionnels à prévoir. Je ne suis pas RSI, néanmoins, j’essaye de trouver des solutions. Par exemple, une infirmière qui a rencontrée des difficultés à se connecter sur le DMP du résident, et bien je prends le temps de l’accompagner. C’est un vrai accompagnement de terrain. Ce sont des établissements à taille humaine donc nous pouvons le faire. Si vous êtes dans un grand groupe, que vous êtes au siège et n’avez pas de référent sur site ça peut être plus compliqué car il va falloir se déplacer.

Avez-vous eu des difficultés de consentement avec les résidents ou pas du tout ?

Non, après ils ont le choix de s’y opposer directement. Mais c’est vrai qu’à l’époque où nous avons lancé le DUI, nous avions envoyé des courriers. Nous les avions informés et avions proposé de s’y opposer. L’enjeu pour moi demain c’est plutôt qui a accès au DMP ? De fait, le consentement fait partie de notre contrat de séjour et nous l’avons intégré directement pour prévenir qu’on alimente le DMP.  Ça c’était un choix d’emblée de mettre dans le contrat de séjour. Il n’y a pas eu de refus.

Aujourd’hui on utilise un logiciel qui nous permet d’avoir accès à des données médicales. Quel est l’intérêt pour le résident de faire un blocage qui pourrait nuire à son accompagnement voir même à la qualité des soins ? Nous leur disons qu’ils peuvent accéder à la plateforme Mon Espace Santé (et donc indirectement au DMP). Nous nous sommes rendu compte que la famille va sur cet espace sans en avoir informé la personne. Il y a alors plutôt un sujet de qui est la personne de confiance ou l’aidant. C’est autre chose. Il faut être vigilant. Au début on est parti en se disant il faut mettre un maximum de choses dans le DMP et puis finalement on a fait machine arrière au bout d’une semaine. Une observation d’un médecin psychologue qui dit « risque suicidaire » c’est violent si en tant que famille vous récupérez cette information. De plus, dans les observations médicales il y a beaucoup d’acronymes et ce n’est pas toujours évident de comprendre cela.

Donc on a vraiment limité au minimum « qui » pour nous s’apparente au prescription et fiches de traitement, et toutes les évaluations. C’est plutôt comment se gère la communication de façon intelligente pour ne pas non plus perturber les personnes et les inquiéter.